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Les textes sur les coiffes sont des extraits de la revue mensuelle "Le presqu'îlien" N° 68 et 69 écrits par Yann LASTENNET

Coiffes utilisées dans les communes de Crozon, Camaret, Lanvéoc, Le Fret et Telgruc

Plus qu'une affaire de coquetterie, le costume breton reflétait, il y a près d'un siècle, l'appartenance à une identité culturelle, à un groupe social, à un «pays». La coiffe était sans doute le symbole le plus visible et le plus caractéristique de ce code vestimentaire. En Presqu'île, les femmes portaient toutes une coiffure blanche en filet : la «Penn Sardin».

La penn sardin a ceci d'extrêmement curieux, c'est que, à l'exception du canton de Crozon, elle ne personnifie pas un pays. Contrairement aux autres coiffes bretonnes, l'aire de prédilection de la penn sardin n'a pas de limites fixes. On la rencontre dans plusieurs ports de Cornouaille, de Crozon à Concarneau en passant par Douarnenez. En Presqu'île, les femmes de toutes les communes l'ont adoptée à l'exception de celles d'Argol qui oscillaient entre la mode châteaulinoise (la spart) et quimpéroise (la coiffe bourledenn).

L'origine du nom penn sardin (tête de sardine) est incertain. Sans doute a-t-il servi à caractériser les femmes qui travaillaient dans les conserveries de poissons, au XIXe et au début du XXe siècle. La sardine constituait alors là principale manne écono-mique des ports du Sud-Finistère. Peut-être désignait-il aussi le filet qui servait à confectionner ces coiffes, réplique quasi identique, en plus fin, des nasses des pêcheurs. Cette dénomination, sous forme de sobriquet, aurait été employée par les femmes des autres régions pour qualifier les Presqu'îliennes. Quoi qu'il en soit, ces coiffes du littoral ont rapidement gagné les campagnes environnantes, souvent tributaires et influencées par la vie maritime.

Présentation de la coiffe

Présentation de la coiffe

La coiffe penn sardin se composait de trois parties distinctes : la passe, le fond et les lacets. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, elle était réalisée en tulle de coton à maille ronde, un tissu très fin, acheté au mètre dans les merceries. Précisons dès à présent que la plupart des femmes confectionnaient elles-mêmes leurs coiffes. Au début du XXe siècle, le tulle céda la place au filet dont l'utilisation n'avait pas de secret pour les femmes de pêcheurs, habituées à ramender les filets de leurs maris.

 Elles travaillaient elles-mêmes la matière, maille après maille, pour obtenir deux pièces rectangulaires : la première, allongée, servirait pour la passe; la seconde, plus large mais aussi plus courte, constituerait le fond.

Les techniques de montage de la coiffe différaient suivant les zones d'établissement de la penn sardin. À Crozon, la passe était pliée sur quelques mailles et assemblée avec trois côtés du fond par un point de couture. En revanche, à Camaret, les deux parties étaient cousues bord à bord. L'important était de fixer la passe de manière à ce qu'elle tombe de chaque côté du fond en deux parties de tissu égales, les ailes, appelées « sparlou » en Presqu'île et « chinkellou» à Douarnenez. L'autre extrémité de la passe, donnant sur le front de la femme, était le plus souvent terminée par de petites « dents » réalisées au crochet. Enfin, la base du fond, tombant sur la nuque, était pliée de façon à former une glissière. Elle permettait le passage des deux lacets en coton qui étaient par ailleurs fixés à chaque extrémité du fond.

De la navette au crochet

De la navette au crochet

Le matériel utilisé par les femmes pour confectionner leur coiffe était, à peu de choses près, le même que celui qui servait à la réalisation des filets de pêche. Si l'aspect extérieur de l'outillage différait quelque peu, les techniques de fabrication et les noms des outils restaient identiques. L'instrument majeur dans la réalisation du filet était la «navette ». Cette longue aiguille. percée aux deux extrémités, faite en bois, en acier ou en laiton, permettait de réaliser les mailles du filet. La taille de celles-ci, appelée moule, dépendait du gabarit de la navette et de la grosseur du fil.

Mise en place de la coiffe

Mise en place de la coiffe

La pose de la coiffe constituait souvent bienséance qu'une mère inculquait à sa fille. L'opération n'était pas aisée et les jeunes femmes devaient souvent s'y reprendre plusieurs fois avant d'obtenir une coiffure parfaite.
La pose de la coiffe débutait par la mise en place des cheveux. Une fois brossés, ceux-ci étaient tirés en arrière et noués pour former une queue de cheval, appelée "cuche". La femme posait alors un bonnet de coton noir qui descendait sur la nuque au niveau du nœud de la cuche. Elle serrait le bonnet grâce à deux lacets placés de chaque bord du couvre-chef et les faisait faire le tour de la tête pour maintenir le tout. L'étape suivante consistait à positionner le "rijeres". Ce ruban noir de près 1,50 mètre de long était indis-pensable pour faire tenir la coiffe. La femme commençait par le fixer aux cheveux grâce à une épingle. Le rijère partait au niveau de l'oreille entourait une première fois la tête,puis était passéau dessus de la "cuche". L'opération était renouvelée, le ruban passant cette fois sous la queue de cheval. Au cours du troisième passage, la" cuche " était remontée sur le haut du crâne pour qu'elle ne dépasse pas une fois la coiffe posée. Commençait alors la mise en place de la penn sardin proprement dite.

La femme épinglait le dessus de la passe sur le rijeres de façon à ce que les "sparlou" aient bien la même longueur de chaque côté de la coiffe. Ensuite, elle attrapait les deux lacets qu'elle tirait pour mettre le fond bien en place avant de les faire passer sur le haut de la coiffe, en les chevauchant. Restait à faire le nœud, appelé cocarde, au niveau de la nuque, puis à remonter les "sparlou".
Une légère différence s'opérait entre la mode de Crozon et celle de Camaret. À Crozon, les sparlou étaient remontés de chaque côté de la cocarde, laissant celle-ci bien en évidence. Ils étaient fixés à la base du fond grâce à deux épingles à tête ronde. À Camaret, les ailes étaient pliées de façon à se chevaucher légèrement. Elles cachaient ainsi la cocarde.

Entretien de la coiffe

Entretien de la coiffe

La penn sardin était une coiffe qui devait être parfaitement blanche, il en allait de la réputation de celle qui la portait. Les femmes utilisaient différentes techniques pour laver leurs coiffes. Le plus souvent, elles les plongeaient dans un bac d'eau savonneuse. Plusieurs trempages étaient nécessaires pour rendre à la coiffe son aspect immaculé. Si celle-ci n'était pas neuve, on pouvait la tremper dans un peu de Javel. Chaque famille avait sa recette miracle. Ainsi Rose Kermorgant plongea sa coiffe de mariée dans une écuelle remplie de lait caillé. La coiffe était ensuite étendue au soleil pour le séchage.

Pour durcir les coiffes, les repasseuses utilisaient un mélange d'eau et d'amidon de froment, porté à ébullition.
Refroidie, la mixture prenait la consistance d'une pâte que l'on appliquait sur la coiffe autant de fois que l'on jugeait nécessaire. Cette étape nommée amidonnage, était destinée à donner à la penn sardin un peu de relief. Elle permettait également d'enlever les faux plis avant le passage du fer. Pour les lacets, on préférait les plonger dans de l'amidon de riz cru afin de ne pas les rendre trop raides. Ils devaient garder toute leur souplesse pour le nœud.

Le repassage était le plus souvent l'affaire de professionnelles. Les familles envoyaient leurs coiffes par paquets de cinq ou six à une repasseuse en qui elles avaient une confiance absolue. Cela impliquait que l'on devait avoir des coiffes de rechange.

villechamps

coiffe des villes et coiffe des champs

La coiffe n'était pas portée tous les jours par toutes les Presqu'îliennes. Pour des raisons pratiques, faciles à comprendre, les femmes qui travaillaient la terre délaissaient la penn-sardin pour le flanchon. Ce carré de toile blanc, noué derrière la tête, appelé communément "ar foular", offrait une bonne protection contre le soleil, la pluie et le vent. Il était surtout facile à laver et rapide à mettre en place. Contrairement aux coiffes du dimanche, il ne possédait pas de broderies. Les femmes n'avaient aucune peur de le salir ou de l'user prématurément.

D'autres coiffes étaient réservées pour des occasions sortant de l'ordinaire. Les coiffes de deuil n'étaient guère différentes des penn sardin habituelles à l'exception des broderies qu'elles ne possédaient pas. La convenance voulait en effet que la famille gomme toute marque de coquetterie en hommage au défunt. En ces tristes circonstances, la femme s'enveloppait d'un long manteau de tissu noir, le mantelet. Celui-ci était raccourci, "à demi-deuil", pour marquer l'atténuation de la peine.

La coiffe de cérémonie était réservée, au début du siècle, aux événements plus heureux. Cette longue coiffe, de forme conique, était portée par les femmes les plus riches lors des baptêmes, communions ou mariages. Réalisée en tulle à mailles rondes et couverte de broderies, son allure élancée contrastait singulièrement avec la forme aplatie de la penn sardin traditionnelle. Cette coiffe de cérémonie a disparu rapidement après la première guerre mondiale, victime de la mode. D'ailleurs l'aspect général des penn sardin évoluait, s'orientant vers plus de simplicité pour ne pas faire du port de la coiffe une contrainte.

Les lecteurs nous écrivent...

Les lecteurs nous écrivent "Coiffes en Presqu'île

Nous avons reçu une lettre de M. Zam qui retrace l'histoire de la conserverie en Bretagne et pense, comme M. Le Stum, que la coiffe de la Presqu'île est plus ancienne que la coiffe dite " Penn Sardin " de Douarnenez: "... Le vrai départ de la conserverie à Douarnenez remonte à 1860 et l'installation de l'usine Chancerelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

... Le terme " Penn Sardin " ne peut pas avoir son origine avant cette date... quand les coiffes portées par les ouvrières des usines de conserve de sardines semblent avoir été imposées à Douarnenez par les industriels. " M. Zam trouve l'emploi du même terme, pour désigner les deux coiffes, peu approprié, tant les femmes sont différentes. " Il n'existait pas une barrière entre la Presqu'île de Crozon et Douarnenez, il n'existait pas non plus de relations administratives ou même économiques... Quelle relation peut-on établir entre une fermière de nos villages et une ouvrière d'usine de Douarnenez déjà " marquée " par des luttes syndicales ayant comme maire, Daniel Le Flanchec (premier maire communiste en Bretagne)... Aucune, tant dans les mentalités que dans le comportement... " " De mon existence, je suis né en 1928. je n'ai jamais entendu ni dans ma famille paternelle ou maternelle désigner leur coiffe par " Penn Sardin "... Ma belle-mère née à Lanvéoc en 1887..., sa mère née à Telgruc en 1855 et sa grand-mère née à Telgruc en 1825, ont toutes porté la même coiffe, celle de la Presqu'île de Crozon. Il est donc indéniable et très certainement bien avant 1825, que la coiffe de la Presqu'île de Crozon est celle d'un pays...
Il serait donc ridicule de persister à nommer cette coiffe " Penn Sardin ", alors que ce sobriquet n'a pu être employé qu'après 1860... La coiffe adoptée par les douarnenistes pourrait avoir été inspirée par celle du pays de
Crozon, avec des petites transformations... ". 
Jean Zam
Sources: Livre d'or de la conserve française de poisson, l'industrie des conserves alimentaires de 1823 à 1951.

 

Nous avons également reçu courrier de M. Le Stum"...selon un dictionnaire breton, le nom de penn sardin (tête de sardine) est le nom familier de femme de Douarnenez. Son usage détermine de manière péjorative, une femme qui se fait remarquer... Au début du siècle, à Douarnenez, la tradition de la sardine était si forte, que toutes les Douarnenistes, qu'elles portent coiffe ou non, étaient nommées les Penn Sardin. Les femmes pêcheurs, dont l'activité professionnelle était liée à la sardine, étaient salariées, commises sur les quais... sardinières dans les conserveries, cotonnières dans les fabriques de filets de pêche... toutes ces femmes étaient ouvrières... Mais ce sobriquet concerna aussi toutes les autres femmes... Penn veut dire " tête " mais aussi " chef ". En effet, à Douarnenez la femme faisait la loi dans le couple. Leur activité professionnelle leur donnaît non seulement une responsabilité de chef de famille, mais aussi une indépendance enviée, qui leur accordait un comportement libéral, que les femmes des autres pays, pour la plupart paysannes, ne pouvaient pas admettre... Selon les spécialistes, la coiffe dite penn-sardin est portée de la façon la plus pure à Crozon. Ceci ne laisserait-il pas sous entendre qu'elle pourrait avoir son origine dans la presqu'île ?... Avec l'installation des conserveries, la coiffe de Douarnenez, qui n'était autre que celle de Quimper, fut remplacée par une coiffe, inspirée de celle du pays de Crozon... Cette coiffe se porta aussi dans les enclaves sardinières du Sud-Finistère (Audierne, Lesconil. L'Ile-Tudy, Concarneau). Dans tous ces lieux, ces coiffes étaient donc d'importation. Ces nouvelles coiffes, plus pratiques que les coiffes locales, semblent avoir été imposées à Douarnenez et dans ces ports sardiniers par les industriels, dès 1860... pour des raisons sanitaires... pour maintenir les cheveux longs, tournés en chignon pour éviter d'en retrouver dans l'huile des boîtes de sardines... Par contre, la coiffe de Crozon est celle d'un pays avec une identité culturelle ancienne. C'était la coiffe des dimanches et des jours de fêtes, celle que l'on portait pour aller à la messe, alors qu'en semaine, un bonnet ou un mouchoir étaient posés sur les chi-gnons... Au fil des ans, la coiffe, à Douarnenez, comme à Crozon. a été brodée, elle est devenue plus subtile, plus fouillée, plus coquette. Si la coiffe de Douarnenez a été inspirée par celles de Morgat et de Camaret, il semble alors malvenu de dire que la coiffe du pays de Crozon se nomme penn-sardin... Il serait plus compréhensible de dire: la coiffe de Crozon, la coiffe de Douarnenez, de les distinguer...

 

 

 

 

Cette coiffe a été faite récemment pour les besoins d'un cercle celtique. Elle a évolué et n 'est pas tout à fait identique aux coiffes du début du siècle.
M. Le Stum



Voici le courrier de Claude Le Fur: " Les articles de Yann Lastennet peuvent être complétés par les témoignages de Camarétois : l'un né en 1910 et l'autre petit fils et fils de commises à l'usine Béziers... et par les travaux de M. Creston(1)  qui affirme que " les costumes bretons sont la " marque " de régions naturelles ou de régions administratives et économiques ". Pour le groupe Douamenez-Crozon, la " cause essentielle est économique et sociale "(2)

Les liens économiques entre Douarnenez et la Presqu'île sont attestés de longue date. Ils existaient déjà avant la révolution.(3) Le naufrage de la Marie Jeanne, le 5 juin 1828, fait 26 victimes (4) : cette chaloupe se rendait de Morgat à Douarnenez : c'était la veille de la foire de Pouldavid... " les habitants de Crozon viennent faire leurs achats de bétail (cochons et volailles), filets, approvisionnements de pêche et prennent des engagements... pour la pêche des sardines " à Douarnenez.. . Si l'on admet que " l'essor pris par la coiffe connue sous le nom de penn-sardin a pour causes principales l'apparition et le développement de l'industrie de la conserve ", il est logique que cette mode se soit développée d'abord à Douarnenez puis en Presqu'île de Crozon dans un deuxième temps... Les propriétaires des grandes conserveries camarétoises étaient en effet principalement originaires du Sud de la Bretagne. La presqu'île est une entité géographique forte et ses habitants sont réputés pour avoir un caractère indépendant. Les presqu'îliennes auraient donc très légèrement " aménagé " la penn-sardin douarneniste pour affirmer leur identité. Françoise Cornec (5) note des différences au niveau de la largeur des lacets, du volume du nÅ“ud, de la " passe " et des ailes entre Douarnenez et la Presqu'île. Même à l'intérieur de la Presqu'île il y a des variations puisque la coiffe de Camaret n'est pas identique à celle de Crozon... La provenance de la penn-sardin est connue : elle vient de la région de Beuzec, milieu rural pauvre, premier pourvoyeur de main d'oeuvre dans la conserverie Douar-neniste ". En ce qui concerne les broderies : " A Camaret, les " fritousen " (ouvrières) de l'usine Béziers portaient des coiffes non brodées pendant le travail... La coiffe du dimanche était brodée selon différents témoignages... Il aurait été bien étonnant que la presqu'île se singularise en s'habillant le dimanche comme en semaine... La présence de coiffes brodées sur les cartes postales n'a rien de surprenant. .. Il faut attirer l'acheteur, en lui offrant un sujet pittoresque... C'est exactement le phénomène inverse avec les photos de famille. L'important est de voir le visage, l'arrière de la coiffe est donc toujours caché... Lorsque l'on fait des recherches sur un sujet, on se trouve systématiquement confronté à des " contradictions ". Le cas des coiffes n'y échappe pas et si l'on veut avoir une vue exacte de la réalité, il faut obtenir la collaboration d'informateurs de terrain...

Claude Le Fur


(1) R-Y Creston 1951, Finistère et Tourisme (C.D.T.)
(2)  R-Y Creston 1993, Le costume breton
(3) D. Cadiou et all 1995, Le Presqu'île de Crozon à la veille de la Révolution
(4)  J-J Kerdreux 1998, Avel Gomog
(5)  Françoise Cornec, 1996, Avel Gornog - Y. Jannès, 1973, Les Cahiers de l'Iroise n° 3

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